Tel un phénix s’élevant de ses cendres, le site de Collombey-Muraz est en pleine mutation. Les colossaux travaux de déconstruction de la raffinerie ont impliqué le démantèlement de plus de 1’000 pièces d’équipement, la dépose de plus de 90 km de tuyauterie, la récupération de plus de 30’000 tonnes d’acier ainsi que le démontage de 54 citernes pour une capacité totale équivalente à 200 piscines olympiques et de près de quarante installations électriques. Ces structures qui jadis se dressaient sur l’horizon ont disparu au fil du temps, laissant derrière elles une histoire poignante. Témoins d’un temps révolu, ces « mastodontes » d’acier ont en effet été le théâtre de décennies de labeur. Des hommes et des femmes y ont travaillé avec honneur pour transformer ce trésor convoité, extrait des profondeurs du sol. Ces souvenirs marquants resteront gravés à jamais dans leurs âmes.
Désormais, le site de la raffinerie est plongé dans un silence assourdissant. Les machines se sont tues, les ouvriers ont quitté les lieux. Les cœurs sont lourds, les regards empreints de mélancolie. Seuls quelques ouvrages géants gisent encore, disloqués, sur le sol, vestiges d’une époque défunte.
Afin de témoigner de cette transformation majeure du paysage chablaisien, David Bard, Bernard Dubuis, Lea Lund, Erik K et Jean-Marc Yersin ont eu le privilège d’accéder à l’intérieur de l’usine désaffectée. Chacun à leur manière, selon leur style photographique respectif et leur sensibilité propre, ils nous offrent un récit émouvant de ce lieu mythique.
Texte de Julia Hountou
Docteure en histoire de l’art & Responsable de la Galerie du Crochetan
Réservation
Entrée libre
Du 27 janvier au 5 avril 2024
La galerie est ouverte du lundi au vendredi de 9h à 13h et de 14h à 17h + les soirs de spectacles
BIOGRAPHIES DES ARTISTES
DAVID BARD
David Bard est un jeune architecte suisse. Après avoir obtenu son Master en Architecture à Fribourg, en Suisse, en 2019, il a fondé son propre bureau, baptisé BARD YERSIN architectes, avec son partenaire Thibault Yersin. Présents au cœur de la campagne fribourgeoise, ils travaillent à la transformation de ce paysage à l’équilibre fragile. La ruralité de cette région étant brutalisée par des mutations génériques, le bureau se concentre sur l’importance du type et sur la question de son évolution au fil du temps. Ils fondent leur travail sur le fait que, pour bâtir l’avenir, il faut rénover le passé. Ils transforment activement des fermes, des granges, des laiteries, des porcheries et même une chapelle ! Leur dernière « re » transformation a été nominée pour le prix « Kaninchen 2021-Hochparterre ».
Ses photographies s’inscrivent dans la continuité de ses recherches théoriques et architecturales sur l’éthique brutaliste, interrogeant notre rapport aux éléments fondateurs de l’art de bâtir. Les images qu’il crée sont toujours très construites et étroitement liées à l’architecture. Pour lui, la photographie est un moyen de révéler la force expressive de ses réflexions sur la matière brute et l’immédiateté. Elle devient ainsi un outil lui permettant la mise en abyme de choses nouvelles et surprenantes, parce qu’inattendues.
www.davidbard.ch
BERNARD DUBUIS
Après sa formation à l’École de photographie de Vevey de 1972 à 1975, Bernard Dubuis inaugure son atelier à Sion à la fin de 1976, suite à une expérience au Musée d’art et d’histoire de Genève où il explore les subtilités de la prise de vues d’objets sous la houlette d’Yves Siza. Un stage organisé par Magnum en 1980 avec Raymond Depardon et Guy Le Querrec à Saint-Ursanne laisse une empreinte indélébile sur son parcours. Son regard singulier sur le monde qui l’entoure, à la fois précis et empreint d’humour, le fait rapidement connaître et il gagne ainsi la confiance de divers milieux.
Il s’engage fréquemment dans des projets de longue envergure tels que les combats de reines, le Rhône, et le suivi de grands chantiers des dernières décennies tels que les tunnels, autoroutes, aménagements hydroélectriques de Cleuson-Dixence, Veytaux et Nant de Drance, ainsi que le tunnel de base du Lötschberg. Ce qui passionne Bernard Dubuis par-dessus tout, c’est la photographie des individus en prenant le temps de s’immerger dans leur environnement et de s’imprégner de leur vécu.
Photographe humaniste et documentariste, dans la lignée de Le Querrec, Peress, Towell, ou Abbas, Bernard Dubuis fait également référence à Robert Frank et Henri Cartier-Bresson. Il attache une importance particulière à la durée et à l’approfondissement de son travail photographique, préférant cette démarche à l’effervescence éphémère de la presse. Il partage cette volonté, voire cette nécessité, de construire une mémoire de ce qui l’entoure, avec deux autres photographes, Robert Hofer et Jean-Claude Brutsch, ainsi qu’avec l’historien Jean-Henry Papilloud, alors directeur du Centre valaisan du film à Martigny. Ensemble, en 1989, ils créent l’Enquête photographique en Valais. Bernard Dubuis contribue également à l’aventure de la galerie Focale-Nyon dès 1984. En 2018, tout en continuant ses travaux documentaires et d’archivage, ce dernier dépose ses archives à la Médiathèque Valais.
LEA LUND & ERIK K
La rencontre de ce couple d’artistes nomades s’est opérée au détour d’une rue de Lausanne. Intriguée par la prestance élégante d’Erik K semblable à un dandy, Lea Lund lui adressa la parole en ces termes : « Il est amusant de rencontrer une personnalité telle que la vôtre ici. » Erik K répliqua ainsi : « Je me rends à un mariage, voulez-vous m’accompagner ? » Depuis cette rencontre fortuite, ils demeurent inséparables ; Lea Lund capture en photographie les divers personnages incarnés par Erik K au sein de leurs mises en scène singulières.
À la fois créateur et muse, chacun d’eux contribue à une œuvre commune. Passionné par l’esthétique vestimentaire, Erik K est fasciné par la texture des beaux vêtements et accorde une attention infinie au choix des accessoires. Il conçoit ainsi des chapeaux extraordinaires, déniche et personnalise ses parures, donnant naissance à une multitude de personnages fantastiques.
Lea Lund, quant à elle, s’adonne à la photographie et intervient sur les images avec une variété de techniques telles que la gravure, le dessin, l’utilisation de papiers griffés, qu’elle enseigne à Erik K qui, à son tour, se livre à la pointe sèche. À bord de leur camionnette, véritable loge de costumes d’un théâtre ambulant, ils parcourent l’Europe à la recherche de décors propices à leurs mises en scène. Leurs voyages incessants les conduisent des États-Unis à l’Afrique, ramenant des images empreintes de récits singuliers, plongeant le spectateur dans un monde imaginaire, tel un roman condensé en une seule image.
Derniers artistes à intégrer l’exposition Raffinerie – La fin d’une ère, à la suite d’une rencontre au Festival de la photographie d’Arles, Lea Lund & Erik K partagent pour l’occasion leurs photographies de la raffinerie de Collombey-Muraz témoignant de leur univers artistique unique.
JEAN-MARC YERSIN
Après avoir suivi une formation au sein d’un studio de photographie publicitaire à Genève, Jean-Marc Yersin exerce son métier dans les domaines les plus divers. Au cours d’un long voyage en Amérique du Nord en 1981, il réalise son œuvre intitulée Downtown, questionnant ainsi la place de l’individu au sein de la ville américaine.
En compagnie de son épouse, Pascale Bonnard Yersin, archéologue, ils reprennent en 1991 la direction du Musée suisse de l’appareil photographique de Vevey, où ils jouent un rôle fondateur dans la création du Festival Images en 1995. Après l’achèvement de l’extension et de la transformation intégrale du Musée en 2012, Jean-Marc Yersin s’investit progressivement dans ses propres projets photographiques, auxquels il se consacre pleinement depuis sa retraite en 2018. À travers ses photographies, il explore la manière dont nos futurs vestiges seront perçus, un jour, par d’autres, dans un autre temps.
De cette réflexion est née l’envie de constituer une sorte d’atlas de ces lieux en devenir, matérialisé par la publication de livres intitulés Les carnets d’un autre temps, dont trois volumes ont déjà vu le jour. Ces publications ont également fait l’objet de différentes expositions et projections, tant en Suisse qu’en France. Dans sa pratique artistique, Jean-Marc Yersin conçoit et réalise intégralement ses projets, accordant une grande importance à la matérialité de ses tirages, à la mise en page de ses publications, ainsi qu’à l’accrochage de ses expositions. Inspiré par la parenté renouée entre l’impression jet d’encre et la technique de la gravure, il établit son propre atelier d’impression, en développant un style distinctif de tirages noir-blanc caractérisés par des encrages profonds et des formats pouvant atteindre des dimensions imposantes.
www.jean-marc-yersin.ch